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Quand on ne voit pas plus loin que le bout de son nez

De nombreux investisseurs institutionnels disposent actuellement de fonds très importants et achètent à tour de bras, notamment dans les centres des villes romandes. La concurrence qu’ils se font risque de coûter cher aux futurs retraités  

Pourquoi ? Ces institutionnels – et notamment Swiss life - achètent des immeubles à des prix si élevés que les rendements bruts ne cessent de baisser. Certes, un rendement de l’ordre de 3 % est toujours préférable à devoir payer 0,75 % d’intérêts négatifs sur les liquidités qu’ils détiennent, mais…

Quand les taux remonteront, ce qui arrivera bien un jour, ce sera la catastrophe ! Prenons un exemple : un immeuble acheté aujourd’hui pour 10 millions de francs offre un rendement brut de 300.000 francs par année. 

Lorsque les taux remonteront et que les rendements seront revenus aux alentours de 5 %, la valeur de l’immeuble baissera considérablement, car pour obtenir un rendement brut de 300.000 francs, il suffira d’investir 6 millions de francs. En clair, il faudra alors amortir 4 millions de francs. 

Sachant que les fonds de pension suisses investissent  environ 23 % de leur portefeuille dans l’immobilier actuellement (contre 8 % en 2003), soit quelque 13 milliards de francs par an, cette ruée intempestive sur les achats immobiliers à prix surfaits pourrait entrainer – sur une seule année d’investissements - des amortissements de 5 milliards de francs. Argent qui, précisons-le, n’appartient pas aux fondations de prévoyance, mais à leurs assurés, c’est-à-dire à nous tous !

Cette situation aberrante est notamment due au fait qu’il y a en Suisse plus de 1600 institutions de prévoyance et que de nombreux dirigeants de ces institutions se fichent éperdument des sommes énormes qu’il faudra probablement amortir dans 5 ou 10 ans, car ils ne seront vraisemblablement  plus à leur poste. 

En attendant, ils continuent à percevoir de beaux salaires et que vogue la galère…

 

Qu’en est-il des difficultés d’accéder à la propriété pour les primo-acquérant ?

Le principal écueil – celui qui empêche nombre de personnes d’accéder à la propriété - est la crainte constante et irrationnelle de surendettement de la FINMA et de la BNS. Ainsi, alors que les taux hypothécaires sont actuellement de l’ordre de 1%, banques et instituts de crédit sont contraints d’appliquer un taux technique de l’ordre de 5 % lorsqu’il s’agit de déterminer la capacité d’endettement de candidats à l’acquisition.  

Un autre écueil se situe niveau des prix. Couplé au problème des taux techniques, il empêche de nombreuses personnes à devenir propriétaires de leurs murs, alors que c’est leur vœu le plus cher. Il n’est donc pas étonnant donc que nous soyons le pays avec le faible taux de propriétaires d’Europe.

En quoi ces taux techniques rendent-ils une acquisition si difficile ?

Un exemple : un couple s’intéresse à un appartement de 100 m2 au prix de 850.000 francs. Pour l’acheter, ils devront disposer de 20 % de fonds propres plus les frais d’acquisition, soit  210.000 francs en tout. C’est beaucoup ! Puis, pour obtenir un crédit hypothécaire de 680.000 francs, ils devront justifier d’un revenu de plus de 120.000 francs, C’est aussi beaucoup !  C’est que, pour calculer leur capacité de financement, la banque va appliquer un taux d’intérêt technique de 5 %, ajouter 1% pour les frais d’entretien et arriver ainsi à des frais théoriques de 40.800 francs par an. Or, cette somme ne doit pas dépasser le tiers du revenu du ménage.

Absurde quand on pense qu’en réalité, ce couple pourrait obtenir un prêt à terme fixe de 10 ans qui ne lui coûterait que 7.000 francs par an.

Par ailleurs, vous critiquez fréquemment les estimations d’experts

Je dis simplement que quand des experts affirment qu’en ville de Bière l’immobilier ne vaut pas grand-chose, alors que, Morges, juste à côté, vaut 100 fois plus, c’est archi faux ! Trop d’experts sont d’avis que plus un bien sera proche des grandes villes, plus il aura de valeur. C’est faux, car Il y a de très bons immeubles dans des petites communes et les dévaloriser est absurde.

Que pensez-vous de cette nouvelle mode du courtage au forfait ?

La Suisse est un des rares pays d’Europe où n’importe qui peut s’affubler du titre de courtier immobilier, même si sur Vaud - et jusqu’en 1993 - il fallait obtenir une patente pour exercer ce métier ! Etre un intermédiaire compétent et efficace entre un vendeur et un acheteur est un métier et non un sympathique passe-temps servant à mettre un peu de beurre dans les épinards. 

Par ailleurs, la plupart des courtiers au forfait exigent une avance de plusieurs milliers de francs pour constituer un dossier et présenter le bien sur les sites immobiliers. Ce n’est pas le cas chez les courtiers traditionnels qui n’encaissent de commission que si un mandat aboutit à une vente. 

Certes, chacun peut facilement faire estimer son bien sur internet, mais valeur vénale et valeur du marché ne sont pas la même chose. Et là, les courtiers traditionnels ont un gros avantage sur nombre de ceux qui fonctionnent au forfait, car un bon carnet de clients et une connaissance pointue du marché, cela ne s’improvise pas.

Où en sont les carnets de commande dans le secteur de la construction ?

La tendance est à la baisse. L’année a commencé avec d’importantes hausses de priix : aciers d’armature + 23%, PVC + 25%, bois de charpente + 30%, bois lamellé-collé + 60% pour ne donner que quelques exemples.

Quelle en est la raison ?

Principalement la pandémie. Elle a entraîné une brutale interruption des chantiers et la fermeture de la plupart des usines. Les stocks ont donc rapidement fondu. Or, vu le redémarrage assez vigoureux, la demande explose, la production peine à suivre et donc les prix prennent l’ascenseur.  Nous devons donc payer plus cher pour être approvisionnés, ce qui pèse lourd dans les coûts de construction. 

Cela laisse présager quelle hausse du coût pour la construction d’une maison ?

Nous l’estimons de l’ordre de 30 à 35 francs par m3, ce qui est beaucoup. Mais je pense que la situation va se calmer au cours des mois à venir, au fur et à mesure que la production retrouvera son rythme de croisière.

L’augmentation du nombre d’appartements vides vous inquiète aussi, tout comme celle des surfaces d’activités vides, exact ?

Oui, bien sûr. Selon mes estimations, ce ne sont pas 79'000 appartements qui sont vides en Suisse, comme l’indiquent les statistiques officielles, mais plus de 82'000. Si l’on prend un loyer moyen de 1400 francs par mois, cela donne un état locatif manquant de 1,4 milliard par an. Cela devrait nous faire réfléchir : on construit trop partout en Suisse, sauf à Genève.

Quant aux surfaces d’activité, rien qu’à Genève, les statistiques évoquent 337'000 m2 vacants. Ces chiffres sont inexacts, car il faut y rajouter les m2 en construction et les m2 résiliés et on  arrive dès lors à plus de 450'000 m2 de surfaces vacantes.  Avec un prix de location moyen à 350 francs le m2, cela équivaut à un manque de revenus locatifs de 160 millions. 

Sur Vaud, le chiffre officiel est de 183'000 m2 de surfaces vacantes, mais je pense que nous sommes plus près de 250'000 m2. Au prix de location moyen de 300 francs le m2, cela représente un manque de revenus locatifs de 75 millions ! A l’échelle nationale - 4 millions de m2 vides à environ 300 francs le m2 – cela correspond à un état locatif manquant de 1,2 milliard, soit des biens d’une valeur de 24 milliards qui sont vides. La voilà la réalité du vacant !

Avec le développement du télétravail, les entreprises ne risque-elles pas de revoir à la baisse leurs besoins en surface de bureaux ?

Je le pense, oui. A terme les entreprises auront besoin de moins de surfaces, même si je ne suis pas convaincu que le recours massif au télétravail va perdurer. Personnellement, je n’y suis pas vraiment favorable.

Par contre les transactions immobilières se portent bien, juste ?

Dans le canton de Vaud, nous sommes à plus de 10'000 transactions, soit un chiffre d’affaires record de 9 milliards de francs. Sur Genève, il y a eu 2800 transactions pour un chiffre d’affaires de 5,392 milliards. En moyenne donc, les objets vaudois sont moins chers, sans doute du fait de l’existence d’un important arrière-pays.

Il est vrai que le nombre de transactions est très élevé, mais cela ne va continuer longtemps comme cela. Crise oblige, je crains que le nombre de personnes disposant de moyens d’accéder à la propriété baisera. D’autant que les taux d’intérêt ne pourront rester indéfiniment bas.

Ce qui influence la demande c’est essentiellement le solde migratoire, le nombre de mariages et divorces et la tendance toujours plus marquée à vivre seul/e. Dans le canton de Vaud, il y a 816.000 habitants pour 417.000 lots, soit en moyenne 2 personnes par lot (il y a toutefois une forte différence entre ville et campagne). Aujourd’hui, 38% des habitants de notre pays vivent seuls. En 2010, ils n’étaient que 30% et moins de 25 % il y a 20 ans !

A propos solde migratoire, qu’en est-il des forfaitaires fiscaux ?

En 2019, nous avons enregistré plus de départs que d’arrivées de personnes au bénéfice d’un forfait. Et ceux qui sont partis pèsent lourd ! 

Concernant le contingent de ventes d’un bien immobilier à des étrangers, il est fixé à 175 depuis 8 ans dans le canton de Vaud. 

Pendant plus de dix ans, nous avons enregistré entre 220 et 250 demandes par année et donc un tiers d’entre elles devaient patienter un peu pour aboutir. Ce chiffre a progressivement baissé pour évoluer entre 110 et 150 demandes. Enfin, pour l’exercice 2019-020 il a chuté à 29 dossiers traités et même à 18 pour l’exercice actuel. Dire qu’il y a « plein d’étrangers » intéressés à acheter dans le canton de Vaud est une dangereuse illusion.

Quelles sont vos prévisions en matière de démographie ?

C’est encore un point sur lequel je suis en désaccord avec les chiffres officiels et le cœur du problème en ce qui concerne les prévisions dans le domaine de l’immobilier. Ces dernières années, la population a augmenté en moyenne de 9.100 personnes par année (+1.1%).  

Combien d’habitants en 2040 ? Je crains que cette progression ralentisse fortement, même si notre canton reste attrayant, ne serait-ce que par la présence du CIO, de CHUV, de l’EHL, de l’EPFL - pour ne citer qu’eux  - et d’une nature magnifique 

La Suisse – ilot de cherté, mais aussi de stabilité – perd progressivement son attrait et contrairement à ce que pensent nos autorités, je suis convaincu que la croissance de la population résidente sera faible, voire même qu’on pourrait enregistrer une baisse à Genève.

Encadré logements vacants :

                     01.06.2019            01.06.2020

Valais             5372                        6251

Vaud              4512                         5700

Neuchâtel      2281                         2266

Fribourg         2770                         2927

Jura               1000                          984

Genève          1260                         1169

                      17’195                      19'297 (+12%)

 

 

 

Le Groupe Bernard Nicod